lectures
Il arrive que la mémoire soit malhonnête, ou qu’elle se trompe, ou qu’elle mente.
Il arrive aussi que la mémoire pleure, comme pour oublier, comme si c’était possible.
Annick Ghijzelings
Michel Voiturier, 2008
Des traces en gestation
Anne Leloup explore sa mémoire du monde extérieur, de ses sensations corporelles internes en traçant des signes qui s’articulent dans l’espace.
A partir du point naît le rond. De celui-ci s’engendrent cercle, voyelle, zéro qui, déformés deviennent œuf, visage, caillou, miroir, sein. Ainsi passe-t-on de l’évocation de l’infini à celle du trou ; ainsi glisse-t-on vers un symbolisme de l’engendrement par ovulation ; ainsi évolue-t-on de la forme géométrique abstraite à la suggestion d’êtres et d’objets. Comme le fait un enfant qui abandonne le pointillisme du piquetage et le gribouillis crayonné au profit du trait suggérant une réalité extérieure.
Telle apparaît l’œuvre d’Anne Leloup. Comme une exploration en apparence spontanée d’éléments graphiques dispersés sur une surface. Celle semble se présenter comme des rébus, comme des textes primitifs d’avant l’alphabet, comme des jeux graphiques en rappel de l’esprit d’enfance dans lesquelles une forme en engendre une autre. Ils combinent le ludique et le volontairement inabouti.
Il reste donc à les décrypter malgré l’évidente absence d’anecdote. Très vite apparaissent des éléments appartenant au végétal, au minéral, à l’organique. Surgissent des couples aux visages évidés, transparents, donc universels. Se lisent des utérus, des bribes anatomiques où la fécondation semble être en action. Se décèle une évolution d’êtres, de plantes, de signes qui construisent leur présence dans la perception d’une durée.
Parfois, les gravures mettent en parallèle le silence plein de l’immobilité d’une partie monochrome avec le ténu d’une parole visuelle esquissée dans un mouvement, un élan, une fuite. Parfois les peintures deviennent coloriées, vivement. Elles conjuguent au présent une exubérance gaie sur fond de tensions intérieures. Souvent, les travaux d’Anne Leloup laissent au spectateur la sensation d’être un archéologue en face d’un récent champ de fouilles. Ce qui a été mis au jour est tel qu’il fut découvert. Il faut encore l’étiqueter et le replacer dans un contexte historique. Patience et intuition font le reste pour aboutir à une communion avec le vivant.
Caroline Lamarche, 2004
Exposer est pour Anne Leloup un acte rare, intime, qui résiste aux commentaires. Elle vous racontera la pierre longuement poncée, le crayon gras, le passage de l’acide, l’encre étalée au rouleau, la technique comme outil de précision, qui permet de sonder, déplacer, jouer. Non l’émotion qui la gagne à l’instant, très bref, du geste artistique. Elle n’a pas de mots pour le corps traversé par cette énergie-là : plénitude du trait, danse avec le vide. Ni pour les formes qui en résultent. Elle parle de mémoire, de fragments détachés d’une mémoire obscure, de formes qui montent. Nées d’où ? D’objets parfois. D’autres formes, entrevues dans la nature, la maison. D’expériences fugitives, de souvenirs enfouis. La mémoire serait cette forme ovoïde, matricielle, qu’elle affectionne. Il faut garder une trace, dit-elle, le regard limpide et inquiet à la fois. Les traces sont devant nous, simples, fortes, intrigantes. Elles ont la capacité rare de nous attirer et de nous résister, d’allier le don à la rétention. Dans sa quête obstinée du point de convergence, Anne Leloup construit une œuvre équilibrée, exigeante.
Eddy Devolder, 1997
Anne Leloup cumule les activités. Peintre, graveur-lithographe, elle a obtenu le prix de la gravure de la Communauté française à La Louvière en 1995. éditeur, elle crée les éditions Esperluète, à l’enseigne de ce signe qui ressemble à une clef de sol et qui abrège le ”et” des associations.
Avant tout, elle assemble, compose un objet de corde, de papier, de pigments ; une ébauche de forme saturée de poudre colorée, comme une enveloppe secrète, un mystérieux réceptacle, une bogue initiale semblable au caillou ou au mouchoir que l’enfant décidé tient en main et qu’il serre de toute ses forces pour affirmer sa détermination.
Les objets ne sont que des amorces, des modèles, des chiquenaudes, des marques tangibles qui signalent le début de son aventure en peinture, de son immersion dans l’inconnu, à la recherche d’une image perdue, d’une image clef, d’un éblouissement rouge.
Rien à voir ici avec une peinture abstraite ou une évocation matricielle. Il s’agit plutôt d’un corps à corps avec ce qui provoque l’étincelle, un frottement, une sorte d’accompagnement, une façon d’épouser le vent, de se plier au souffle et de se fondre au signe qui donne sens.
Catherine de Braekeleer, 1997
« Très gestuel, son travail est lié à l’écriture, autre monde de l’imprimé. De même, si elle se caractérise par l’utilisation des couleurs primaires, elle travaille également, par superposition et effacement (…) œuvres complètes qui visent à décloisonner les genres au profit d’un dialogue peinture/gravure dans un langage avant tout contemporain (…) sérialité aussi pour Anne dans une forme plus labyrinthique qui fait rebondir regard et quête de pièces en pièces (…) glissant parfois vers la gestuelle pure ; héritière de cette abstraction lyrique et vibratoire dont la Belgique est riche de créations.